Avant l’ouverture officielle pour les cliniques de massothérapie, j’ai pratiqué un échange de massage avec une collègue, pour voir si on n’avait rien oublié. Un peu comme une générale avant le grand soir.

J’ai installé le futon, je l’ai recouvert d’une toile de protection, j’ai désinfecté le coussin de corps (body cushion), j’ai mis des vêtements propres, je me suis lavée les mains, j’ai mis un masque et des lunettes de protection. Ma « cliente » est arrivée, je l’ai accueillie avec un sourire non visible, mais soulignant toute l’incongruité de la situation. Après les échanges habituels, je me suis assise à côté de son corps allongé, je me suis centrée et je suis entrée dans la pratique du soin.

Très vite, j’ai réalisé à quel point la relation est au coeur du soin, que l’on donne à la personne couchée sous nos mains. Cette relation qui, aujourd’hui, en temps de pandémie, est devenue distante, suspecte, voire dangereuse. La massothérapeute ne fait pas qu’appliquer des techniques, bouger ses mains, ses doigts, en fonction de la tension musculaire. La personne massée ne fait pas que recevoir le soin et se détendre. Toute une relation se met en place, à plusieurs niveaux, physique, mental, psychologique, énergétique. Un dialogue se crée, entre les deux personnes, et la conversation se noue entre les corps, les têtes, les âmes.

En médecine traditionnelle chinoise, le poumon est appelé « le maître des souffles », car il a pour fonction de distribuer et faire circuler toutes les énergies du corps. Il contrôle l’énergie défensive qui correspond à notre système immunitaire. On voit ici l’importance de la respiration, des souffles, des soupirs et des grandes inspirations qui, parfois, ponctuent le massage.

Je vous avoue que le port du masque et des lunettes m’a d’abord perturbé. Le souffle coupé par le masque, les lunettes embuées par l’air qui s’en échappe, tout ça n’est pas très propice au lâcher-prise et à la concentration que demande un soin. Heureusement les mains savent ce qu’elles font, elles reconnaissent les tensions et les douleurs et appliquent les techniques appropriées. Mais quand le mental s’emballe, et s’agite face aux contraintes, la relation peine à s’installer et le soin devenir thérapie.

Cependant, lorsque je me suis moi-même allongée sur la table et que j’ai abandonné mon corps (et éteint le mental) aux mains de ma collègue, j’ai très vite ressenti la relation prendre sa place, naturellement. J’ai même découvert que le masque n’empêchait pas mon corps de souffler, ma respiration prendre sa place, ma tête se reposer. J’ai réalisé qu’avant d’être une barrière physique, les masques et les lunettes sont avant tout une barrière mentale. Si la vie trouve toujours son chemin (comme dans un certain parc jurassique), la relation fait de même, malgré les circonstances.

Alors que cet échange servait surtout à vérifier qu’on a pensé à tout, d’un point de vue matériel et sécuritaire, il m’a surtout montré que les choses auxquelles on ne pense pas se révèlent souvent les plus importantes. Le mental a sa place, dans le sens où on en a besoin pour créer un espace sécuritaire. Mais une fois sa tâche terminée, il peut faire la place à la relation. Car…

… on ne voit bien qu’avec le coeur, l’essentiel est invisible pour les yeux 🙂